Un chiffre brut, sans détour : chaque année, 51 millions de savons finissent à la poubelle dans l’hôtellerie française, alors que trois millions de personnes manquent encore de produits d’hygiène de base. Ce contraste, saisissant, bouscule la routine des voyageurs et interroge la manière dont les auberges envisagent le bien-être de leurs clients… et celui de la planète.
Dans bien des auberges, la question du savon individuel n’est pas traitée à la légère. Certaines maisons invoquent des politiques environnementales structurées pour refuser le jetable : moins de plastique, moins de déchets, affichage d’une nouvelle sobriété. Mais tout n’est pas si simple : à cette mouvance se juxtaposent encore des lieux qui restent accros aux produits à usage unique, portés par la tradition ou l’attente de leur public. Ajoutez à ce paysage la variété des réglementations : distributeurs imposés ici, formats classiques conservés là-bas, au gré des réseaux ou des autorités locales. Finalement, derrière la décision de ne pas placer systématiquement une savonnette dénichée sur le lit du voyageur, priorité donnée tantôt à la gestion des coûts, tantôt à la course à l’image verte, parfois les deux… parfois aucun.
Le savon dans les auberges : un facteur oublié du tourisme responsable
Au milieu des considérations sur le confort et la planète, le savon incarne un dilemme concret pour tous les professionnels de l’hospitalité. D’un côté, il symbolise la propreté élémentaire offerte au voyageur. De l’autre, il génère des volumes de gaspillage qui défient l’entendement quand on songe à la précarité persistante dans l’accès aux produits d’hygiène. Longtemps, la question a été cantonnée à la logistique. Ce temps-là est révolu : manquer à l’appel sur ce sujet, c’est prendre le risque de se voir épingler pour indifférence environnementale ou sociale.
Certains établissements s’emparent du sujet et le déclarent haut et fort, décrochant par exemple des labels tels que La Clef Verte et discutant ouvertement avec leur clientèle de leurs arbitrages. Dans la pratique, les modèles se confrontent : on trouve des hôtels convertis au savon liquide (souvent avec des recharges en plastique), d’autres qui assument le retour au solide pour des raisons d’efficacité, de transport et de durabilité. Dilemme permanent : préserver la planète et le portefeuille tout en satisfaisant les clients les plus pointilleux.
Aux yeux des acteurs du secteur, la législation européenne transforme la donne. Très bientôt, les chaînes devront tourner la page des flacons plastiques individuels sous 100 ml ou 100 g. Anticiper, revoir la logistique, former les équipes : le défi n’est plus un choix, c’est une nécessité.
Comment les hôteliers réinventent-ils la gestion du savon ?
De nouvelles pratiques émergent, concrètes et mesurables. Parmi elles, la collecte et le recyclage de savons usagés changent la donne dans de nombreux hôtels. Près de 500 établissements participent déjà à ces boucles vertueuses, en partenariat avec des structures spécialisées qui transforment l’objet usagé en ressource utile pour tous.
Concrètement, ce fonctionnement repose sur plusieurs étapes :
- Les savonnettes collectées transitent vers des ateliers où des salariés en situation de handicap les retravaillent pour les recycler.
- Les nouveaux savons, une fois reconditionnés, sont transmis à des associations de terrain comme les Restos du Cœur, le Secours Populaire ou Caritas et viennent soutenir celles et ceux qui manquent du strict minimum.
- Le bénéfice ? Un impact immédiat : d’un côté, 90 % d’émissions de CO2 en moins par rapport à l’incinération ; de l’autre, des milliers de savons remis dans le circuit solidaire. Quelques chiffres parlent d’eux-mêmes : sept ans d’action ont permis de distribuer près de 100 000 savons, auxquels s’ajoutent plus de 89 000 barres réinjectées dans le réseau social depuis 2018.
L’engagement va au-delà du champ hexagonal : après la tempête Chido, à Mayotte, ce sont 2 000 savons issus de la revalorisation qui ont pu être acheminés d’urgence vers la population.
Face à la prochaine interdiction européenne des flacons plastiques jetables pour l’hôtellerie, la transition s’accélère. De la généralisation du savon solide au développement des distributeurs rechargeable en passant par les alternatives en papier, les établissements déjà labellisés tracent la voie. Ils expérimentent, ajustent, investissent dans des procédés qui combinent performance environnementale et service concret à leur clientèle, sans renoncer à la qualité d’expérience.
Réduire la trace écologique du savon : quelles pistes concrètes ?
Limiter l’empreinte des produits d’hygiène ne relève plus de la bonne volonté mais d’un choix stratégique. Opter pour le savon solide donne tout de suite le ton : sa fabrication réclame près de 25 % d’énergie en moins par rapport au savon liquide. Et à l’usage, l’écart est flagrant : chaque lavage de main nécessite environ 0,23 g de solide, là où 3,5 g de liquide sont consommés. La différence se mesure en économies de transport, d’emballages et de ressources naturelles.
| Savon solide | Savon liquide | |
|---|---|---|
| Quantité utilisée / lavage | 0,23 g | 3,5 g |
| Camions pour 1 tonne transportée | 1 | 14 |
| Emballage | Carton ou papier | Plastique |
Plusieurs leviers permettent de réduire le volume de déchets :
- Emballer le savon dans du carton, du papier ou à partir de matériaux déjà recyclés, pour éviter l’accumulation de plastique
- Mettre à profit les savons formulés par des artisans locaux ou des marques connues pour leur engagement en faveur du biodégradable
- Optimiser la gestion des stocks et la formation du personnel pour éviter les surdosages ou le gaspillage
- Installer des distributeurs rechargeables dans les chambres et les espaces collectifs, ce qui facilite la tâche des équipes d’entretien tout en limitant l’usage du jetable
D’ici 2027, cette dynamique deviendra une obligation dans tout le secteur : plus question de conserver les flacons plastiques individuels, chacun s’adapte pour anticiper la règle et rassurer une clientèle toujours plus attentive à l’impact de son séjour.
Des auberges qui s’engagent concrètement : exemples et dynamiques en marche
L’hôtellerie ne se limite plus à une attention de surface : certains établissements investissent toutes leurs forces dans la réduction de l’impact environnemental du savon. Du partenariat avec des ateliers de recyclage à la redistribution solidaire, l’ensemble de la chaîne s’emploie à faire du savon un symbole d’hospitalité responsable. Les clients, le personnel et les fournisseurs sont associés à cette bascule collective.
À l’initiative du réseau solidaire, des centaines d’hôtels collectent chaque jour leurs savons usagés, pour leur offrir une seconde vie sous la supervision de structures locales et d’associations. En moins d’une décennie, ces démarches ont rendu plus de 100 000 savons à l’utilité collective et marqué les esprits de professionnels désormais convaincus que la solidarité va de pair avec la réduction des déchets. À Mayotte lors d’une crise récente, il a suffi d’un réseau organisé pour rassembler et distribuer 2 000 savons aux populations sinistrées, mêlant impact humain et logique écologique.
Partout en France et aussi à l’échelle européenne, la même logique se propage : des établissements comme Emerald Stay, l’Hôtel de La Fontaine à Nice, Anova Hôtel & Spa, La Butte à Plouider ou encore Arcé à Saint-Étienne s’illustrent sur ce terrain, parfois via des programmes d’inclusion sociale qui permettent aux travailleurs en situation de handicap de s’investir dans la revalorisation des savons, parfois en traquant chaque gramme de CO2 non rejeté grâce à la suppression de l’incinération.
Voici quelques exemples pour saisir la diversité de ces actions :
- Emerald Stay : collecte systématisée des savons avec circuit de revalorisation
- Anova Hôtel & Spa : cycles locaux de réutilisation et lien avec les structures sociales de proximité
- Structures européennes engagées : plus de 89 000 savons remis à des acteurs associatifs depuis 2018 grâce à l’organisation collective
Ce secteur en pleine mutation attribue enfin au savon la place qu’il mérite : celle d’un petit objet du quotidien, révélateur du niveau d’engagement d’une filière. La scène est posée : après chaque séjour dans une auberge attentive à ces questions, le simple geste de se laver les mains devient un signal fort, indice tangible d’une hospitalité en pleine transformation, attentive à chacun, ici et ailleurs.


